Est ce que la Bible raconte la vérité sur Noé ?

Permettez-moi tout en préalable de rappeler que la Bible est une collection de plus de 60 livres différents, rédigés sur une période d'environ 1000 ans par des auteurs très divers. Elle contient des textes narratifs, des poèmes, des textes de lois, des conseils de sagesse, des prières, des chants d'amour, des lettres de conseil spirituel, etc. Vous sentez au travers de cette énumération combien les styles littéraires, le vocabulaire et la problématique générale peuvent être différents d'un livre à l'autre. Un des premiers conseils que l'on pourrait donner pour interpréter la Bible c'est : attention à la clé que vous utilisez pour ouvrir la porte des différents livres !

Faut-il utiliser la clé de l'historicité pour étudier des textes qui visiblement sont des poèmes ? Je pense au fameux livre du Cantique des Cantiques qui est poème d'amour. Il est évident que l'intérêt d'un tel texte réside dans sa valeur symbolique : c'est un magnifique hymne à l'amour conjugal. Si on y regarde de près, le récit de la création dans le ch. 1 de la Genèse est aussi un poème, avec la construction des phrases et le rythme qui caractérisent la poésie hébraïque. Si on lit ce texte en utilisant la clé poétique, on y voit un hymne puissant qui célèbre la bonté et la beauté de la création telle que Dieu l'a voulue. Dieu crée la diversité en séparant les éléments les uns des autres. Si on utilise la clé de l'historicité et qu'on l'applique à ce texte, on aboutit alors à des choses tout à fait bizarres : Dieu aurait créé le monde en 7 jours ! Le premier jour, il aurait créé la lumière alors que le soleil n'existait pas encore ! Or vous savez que les scientifiques nous disent qu'entre le big-bang initial et la constitution d'une terre capable d'accueillir la vie, plusieurs milliards d'années se sont écoulées. Ils nous disent aussi qu'entre l'apparition des premières molécules vivantes et l'apparition de l'homme encore plusieurs millions d'années se sont écoulées. Faut-il renoncer à une lecture scientifique du monde dans lequel nous vivons sous prétexte de fidélité à la Bible ? On voit bien l'impasse ou la position intenable à laquelle conduit l'utilisation d'une clé qui n'est pas adaptée à la nature d'un texte biblique.

J'en viens à présent à cette question, mais vous devinez que ma réponse va aller dans le même sens. Il est bien évident que si on cherche à utiliser la clé de l'historicité ou de la rationalité à ce récit du déluge, on aboutit aux incohérences que vous signalez. Comment un homme seul aurait-il pu en effet rassembler tous les animaux terrestres, les transporter en un même lieu, les parquer, les embarquer à bord, les nourrir... Lorsqu'on aboutit à ce genre de contradiction en lisant la Bible, c'est souvent le signe que l'on s'est trompé de clé et qu'il fallait lire le texte d'une autre manière.

Depuis les recherches archéologiques menées dans les pays du Moyen Orient ancien, on sait que ce récit du déluge dans la Bible ressemble étrangement à un récit analogue dans la mythologie mésopotamienne. Dans l'épopée de Gilgamesh, que nous connaissons grâce à un texte assyrien du VIIe siècle avant notre ère, un certain Outanaphistim reçoit, comme Noé, l'avertissement que les dieux ont décidé d'anéantir les humains, car ils ne supportent plus le bruit que font les humains sur la terre. C'est Éa, le dieu des eaux douces, qui donne à Outanaphistim les consignes pour construite un grand bateau grâce auquel il sauvera les espèces de la destruction. Cette ressemblance très forte avec un mythe mésopotamien nous indique clairement que nous ne sommes pas ici dans un récit de type historique, mais dans un récit de type symbolique. La tradition biblique reprend à son compte l'histoire du déluge en faisant de Dieu, le créateur, l'agent principal du récit. Elle y introduit une dimension morale : c'est le mal dont les humains se rendent coupables et les mauvaises pensées qui habitent leur cœur qui amènent Dieu à envisager un grand " nettoyage ". La pointe du récit biblique du déluge réside dans le fait que Dieu change d'attitude par rapport aux humain : il ne maudira plus la terre, il a compris que le mal est indéracinable du cœur de l'homme, il ne frappera plus les êtres vivants. (Gen 8.21-22). Tout le récit biblique du déluge est orienté vers cette conclusion. La longue narration qui précède n'est qu'une sorte de conte spirituel (qui fonctionne un peu comme les paraboles de Jésus) visant à affirmer cette vérité : Dieu a choisi de ne jamais plus anéantir les humains à cause de leur péché. Et comme gage de sa " bonne foi ", il leur donne un signe : l'arc-en-ciel leur rappellera cette alliance perpétuelle.

L' interprétation que je vous suggère trahit-elle le texte ? Au contraire, elle fait justice elle fait justice à son genre littéraire particulier qui est celui du conte mythologique. Cette interprétation porte-t-elle atteinte à la puissance de Dieu ? Au contraire, elle montre que Dieu est animé de sentiments bienveillants à l'égard de la création. Porte-t-elle atteinte à la notion d'inspiration ? Au contraire, elle révèle comment les auteurs bibliques ont su relire les histoires terrifiantes de leur temps et les transformer en une bonne nouvelle pour les humains.

Vous comprendrez donc que je m'intéresse guère à la façon dont Noé a organisé le transport retour des kangourous en Australie. Les animaux, comme Noé ou sa famille, ne sont que des éléments du décor, dans ce conte qui n'a d'autre but que d'amener les humains à ne plus craindre un châtiment aveugle de Dieu.
J'espère que ces quelques indications vous seront utiles pour lire non seulement ce récit du déluge, mais aussi bien d'autres textes de la Bible dans le respect de l'intention initiale des auteurs, en évitant de leur plaquer sur ces textes des problématiques qui n'étaient pas celles de leurs auteurs.

PS : vous trouverez un dossier très complet sur le récit du déluge sur le site Internet du CRDP de Créteil