Rafles et déportation à Alexandrie
1Partout où parvint ce décret, un festin fut organisé pour les païens aux frais de l'Etat, avec des cris de joie, comme si la haine qui avait endurci leur cœur depuis longtemps se manifestait maintenant en toute liberté. 2Chez les Juifs en revanche, ce fut partout un deuil indicible, des cris de lamentation mêlés de larmes, et des gémissements sortant de leur cœur en feu ; ils déploraient le génocide inattendu qui était subitement décrété contre eux. 3Quel nome ou quelle cité, quel lieu habité en général ou quelles rues n'étaient pas remplis de leur lamentation funèbre et de leurs sanglots ? 4En effet, ils étaient déportés, ville par ville, par les stratèges unanimes, avec une cruauté si impitoyable que, devant ces châtiments hors norme, quelques-uns de leurs ennemis mêmes se prirent à pleurer sur leur misérable déportation, en ayant sous les yeux ce spectacle qui suscitait la compassion générale et en songeant à la fin imprévisible de toute vie.
5On emmenait là une foule de vieillards aux cheveux gris, les jambes lentes courbées par la vieillesse, et on les pressait brutalement, sans honte aucune, à marcher rapidement. 6Des jeunes femmes, tout récemment entrées dans la chambre nuptiale pour commencer la vie conjugale, au lieu du plaisir, recevaient les gémissements en partage. La poussière souillait leur chevelure parfumée ; emmenées sans voile, elles entonnaient unanimes un chant funèbre au lieu du chant nuptial parce qu'elles étaient tourmentées par les mauvais traitements des étrangers. 7Enchaînées en public, elles étaient traînées brutalement jusqu'à l'embarquement dans le navire. 8Quant à leurs maris, le cou enlacé de cordes en guise de colliers de fleurs, dans la force de la jeunesse, ils passaient ce qui restait des jours de la noce, non à des festins et des amusements propres aux jeunes gens, mais dans des chants funèbres et ils voyaient déjà le séjour des morts s'ouvrir sous leurs pieds. 9On les embarquait comme des bêtes sauvages, on les emmenait sous la contrainte, couverts de chaînes ; les uns étaient cloués par la nuque au banc des rameurs, les autres avaient les pieds retenus par des entraves indestructibles. 10De plus, le pont du bateau, sans ouverture, était disposé au-dessus d'eux, afin que, les yeux plongés dans une obscurité totale, ils soient traités comme des traîtres pendant tout le cabotage.
11Après qu'on les eut emmenés à l'endroit nommé Schédia, et que le cabotage eut pris fin, conformément aux instructions du roi, celui-ci ordonna de les faire camper dans l'hippodrome, hors de la ville ; cet emplacement immense était fort bien situé pour offrir un spectacle à tous ceux qui revenaient en ville ainsi qu'à ceux qui en sortaient pour se rendre dans le pays. De la sorte, ils ne pourraient, de là, ni communiquer avec les troupes royales, ni réclamer la protection des remparts.
12Cela fait, le roi apprit que leurs compatriotes de la ville ne cessaient de sortir furtivement pour se lamenter sur l'état misérable de leurs frères. 13Dans sa colère, il ordonna de les traiter, eux aussi, exactement de la même manière que les premiers, sans rien leur épargner du châtiment de ceux-ci. 14Il ordonna aussi d'enregistrer nominativement tous les Juifs, non pour les astreindre au travail forcé annoncé peu auparavant, mais pour leur faire subir les tortures prévues et, finalement, les anéantir en un seul jour. 15L'enregistrement de ces gens eut donc lieu avec un zèle cruel et un soin assidu, du lever au coucher du soleil, et s'arrêta sans être achevé au bout de quarante jours.
16Quant au roi, il ne cessait de se livrer à de grandes réjouissances, il faisait des banquets devant toutes les idoles ; son esprit errait loin de la vérité, sa bouche impure chantait les louanges de ces idoles muettes, incapables de parler à leurs adorateurs et de les secourir, et tenait des propos défendus contre le Dieu Très-Grand.
17Après le laps de temps dont il a été question, les scribes dirent au roi qu'ils ne pouvaient plus continuer l'enregistrement des Juifs en raison de leur nombre incalculable, 18quoique la plupart d'entre eux fussent encore dans le pays ; les uns étaient encore réunis dans leurs maisons, les autres en divers lieux, de sorte que la besogne était devenue impossible pour tous les stratèges d'Egypte. 19Le roi les menaça sévèrement, les accusant de s'être laissé corrompre pour permettre aux Juifs de s'échapper ; il en vint pourtant à se laisser convaincre clairement sur ce point 20quand les scribes lui dirent, preuves à l'appui, que faisaient déjà défaut les feuilles de papyrus et les roseaux à écrire dont ils se servaient. 21C'était là l'action de l'invincible providence qui, du ciel, portait secours aux Juifs.