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pharisiens

De tous les courants du judaïsme au Iersiècle apr. J.-C., ce sont les pharisiens qui sont le plus souvent mentionnés dans le Nouveau Testament. Même si les membres du parti pharisien au sens strict sont peu nombreux, leur influence est considérable.

 

Le grec pharisaïos transcrit approximativement l’hébreu peroushim, ou plutôt son équivalent araméen perisha. Ces termes s’expliquent habituellement comme signifiant « les séparés ». Autrement dit, les pharisiens seraient les « purs », ceux qui, du fait de leur rigueur religieuse et morale, se tiennent à l’écart du peuple — ou du moins des gens considérés comme « pécheurs » ou « ignorants », ceux qu’en langage rabbinique on nomme ‘am ha-arets, litt. « le peuple du pays » (cf. Esd 3.3n): il faut entendre par là des Juifs, y compris des notables et des prêtres, qui apparaissent comme des « infidèles » ou des « non-pratiquants » au regard des critères pharisiens (cf. Mt 11.19; Mc 2.15ss; Lc 5.30; 7.34; 15.1s; 19.7; Jn 7.49; 9.39). Mais quelques-uns comprennent l’appellation pharisiensau sens de « ceux qui expliquent », auquel cas le mouvement serait surtout caractérisé par l’importance qu’il accorde à l’étude et à l’interprétation de la loi. Comme la plupart des noms d’écoles ou de partis, il s’agit sans doute d’un nom forgé par des gens extérieurs au groupe, et non, à l'origine au moins, d’une autodésignation.

 

Les pharisiens sont probablement issus du morcellement du parti « assidéen » (parti des hasidim ou « fidèles »), qui a résisté à l’hellénisation d’Israël au IIesiècle av. J.-C., notamment sous la persécution du Syrien Antiochos IV Epiphane, et qui a rejoint les Maccabées* dans leur combat. Tandis que les prêtres de Jérusalem, précurseurs des sadducéens*, lient leur sort à la nouvelle dynastie sacerdotale des Hasmonéens, héritière de la victoire des Maccabées, et que les ancêtres des esséniens font sécession au nom de la légitimité sadocide (l’appartenance à la lignée de Tsadoq ou Sadok) de la prêtrise (voir Qumrân*), les devanciers des pharisiens inventent une troisième voie: chez eux l’accent portera avant tout sur l’étudede la Torah et sur son applicationpratique, non seulement dans l’univers du temple et des prêtres, mais pour tous les Israélites, dans leur pays comme dans la diaspora(voir encadré p. 1405).

 

Par opposition aux prêtres de l’ancienne aristocratie sadocide ou de la nouvelle aristocratie hasmonéenne, les pharisiens forment des confréries(havouroth dans les écrits rabbiniques) composées en majorité de laïcs, de condition en général plutôt modeste. Il y a pourtant en leur sein de nombreux savants, en particulier des maîtres de la loi et des scribes, qui accèdent rapidement à une position dominante dans le groupe — au point que le Nouveau Testament semble souvent identifier scribes et pharisiens (Mt 5.20; 12.38; 15.1; 23; Mc 7.5; Lc 5.20s; 6.7; 11.53; 15.2; cf. Lc 7.30; les deux appellations sont cependant distinguées en Mc 2.16; 7.1; Lc 11.37—12.1). Selon les sources rabbiniques, ces sociétés admettent différents degrés d’engagement: à côté des membres à part entière (haverim) il y a place pour des adhérents de niveau inférieur, pourvu qu’ils paient la dîme et respectent un certain nombre de règles fondamentales les « séparant » (prsh) du « peuple du pays ».

 

Les spécialistes de la loi qui sont au centre du mouvement pharisien sont regardés comme des sages, catégorie reconnue et estimée depuis la plus haute antiquité à côté des prêtres* et des prophètes*. Toutefois, par rapport à la sagesse foncièrement internationale que reflètent, par exemple, la plupart des Proverbes, la situation a changé : la sagesse universelle est désormais identifiée formellement à la loirévélée à Israël (cf. Siracide* 19.20: « Toute sagesse est crainte du Seigneur, en toute sagesse il y a pratique de la Loi »; au chapitre 24 du même ouvrage, un éloge de la sagesse comparable à ceux de Jb 28; Pr 1.20ss; 8.1—9.6 débouche au v. 23 sur la confession suivante: « Tout cela, c’est le livre de l’alliance du Dieu Très-Haut, la Loi que Moïse nous a prescrite »). Cependant l’instruction même des spécialistes de la loi les ouvre aussi à la culture universelle qui est, à l’époque, essentiellement hellénistique. C’est ainsi que l’intelligentsia pharisienne va contribuer à introduire ou à développer au cœur même de la foi et des usages d’Israël la croyance en l’immortalité de l’âme ou la pratique du prêt à intérêt. Elle se donnera du même coup la tâche délicate d’interpréterles écrits traditionnels de façon à justifier ses vues, au point de les ériger en une nouvelle orthodoxie au regard de laquelle les conservateurs sadducéens, par exemple, feront figure d’hérétiques. Ce double aspect de la nouvelle sagesse apparaît déjà dans l’éloge du scribe en Siracide* 38.34—39.11: « Il en va autrement de celui qui s’applique à réfléchir sur la loi du Très-Haut, qui étudie la sagesse de tous les anciens et consacre ses loisirs aux prophéties. Il conserve les récits des hommes renommés et pénètre dans les détours des paraboles. Il étudie le sens caché des proverbes, il passe sa vie parmi les énigmes des paraboles. Chez les grands il assure un service et il se fait voir parmi les chefs. Il voyage dans le pays des nations étrangères, car il sait d’expérience ce qui est bien et mal chez les hommes... »

 

Comme les esséniens, les pharisiens s’opposent d’abord aux Hasmonéens, probablement parce que ceux-ci ont réuni les pouvoirs sacerdotal et royal, contrairement à leur interprétation de la loi. Des contestations apparaissent déjà, vraisemblablement, sous Jean Hyrcan (135-104 av. J.-C.), qui déclare sa charge de grand prêtre héréditaire, et pendant le court règne d’Aristobule (104-103), où le grand prêtre gouverneur s’est proclamé roi. Le conflit atteindra cependant son paroxysme sous le règne d’Alexandre Jannée (103-76), qui tentera de réprimer violemment l’opposition, allant en 88 av. J.-C. jusqu’à faire crucifier 800 opposants, dont de nombreux pharisiens.

 

Le parti pharisien réussira pourtant à gagner une position influente. En Judée, il progresse en particulier sous Salomé Alexandra (76-67) qui lui est nettement favorable. Au Iersiècle apr. J.-C. il est présent partout et très populaire, bien qu’il n’ait probablement jamais eu la majorité au sanhédrin (voir « Le grand sanhédrin de Jérusalem », p. 1312) avant l’an 70. Malgré son fort particularisme, il réussit souvent à s’entendre avec le pouvoir en place, allié de Rome. On peut noter que l'Evangile selon Marc associe les pharisiens avec des hérodiens en Mc 3.6n; 12.13 (cf. 8.15). Hérode le Grand déjà (37-4 av. J.-C.) avait considéré les pharisiens avec une neutralité bienveillante, et Hérode Agrippa Ier (41-44) sera connu pour sa politique pro-pharisienne. Dans les derniers jours de Jérusalem, les pharisiens seront sans doute de plus en plus débordés et concurrencés par la mouvance nationaliste (voir zélotes*), mais ils réussiront à maintenir leur identité propre, qui reste plus religieuse que politique. Cela leur vaudra la tolérance des Romains après l’écrasement de la révolte juive.

 

C’est en tout cas le parti pharisien qui, après la destruction du temple en 70 apr. J.-C., assure la continuité du judaïsme. Selon la légende, Yohanan ben Zakkaï aurait quitté Jérusalem assiégée, caché dans un cercueil, pour aller demander et obtenir de l’empereur Vespasien l’autorisation de fonder l’académie rabbinique de Jabné (en fait Jabné ou Jamnia était sans doute déjà un centre pharisien important avant la ruine de Jérusalem). Tous ses rivaux (notamment sadducéens et esséniens) ayant sombré dans la catastrophe, le pharisaïsme est pratiquement devenu la seule voix du judaïsme au temps de la rédaction des évangiles. La tradition rabbinique recueillie dans le Talmud* est l’héritière directe de ses vues et de ses méthodes.

 

Dans le Talmud*, le commentaire pharisien de la Torah — ce que le judaïsme appelle la « loi orale » et que les évangiles nomment la tradition des anciens (Mt 15.2 ; cf. Mc 7.8,13 ; Ga 1.14) — prend la forme d’un dialogue entre des rabbis ou maîtres défendant, à chaque génération, des convictions opposées. Il en est ainsi des deux figures emblématiques du mouvement pharisien, Hillel l’accommodant et Shammaï le rigoriste (celui-ci servant souvent de repoussoir à celui-là, puisque c’est la tendance hillélite qui l’emportera en 70). Ce commentaire poursuit deux directions principales, de poids cependant très inégal. D’une part, ici et là, la haggada (d'une racine hébraïque signifiant « rapporter », « raconter ») qui est une réflexion théologique, spirituelle ou édifiante, souvent exposée sous forme de récits ou de paraboles s’inspirant de la tradition orale et de la légende. D’autre part, massive, la halakha (de la racine signifiant « marcher », d'où « conduite », « comportement »), application pratique et juridique, habituellement casuistique, des commandements et des interdits de la loi, qui constitue pas à pas une jurisprudence complexe. La halakhadéfinit les conditions d’une observance stricte, dans la vie quotidienne de chaque juif, des différents aspects de la Torah; le Nouveau Testament se fait souvent l'écho de cette préoccupation constante des pharisiens, par exemple en ce qui concerne le sabbat(Mc 2.23ss//; 3.1ss//; Lc 13.10ss; 14.1ss; Jn 5.1ss; 9.16), la dîme(Mt 23.23//; Lc 18.12), le jeûne(Mc 2.18ss//), la pureté rituelle (Mc 7.1ss//; cf. Mt 23.25s//). Dans ce dernier cas au moins on remarque la tendance fondamentale du pharisaïsme à élargir à l’ensemble de la vie et à la totalité du peuple des prescriptions (p. ex. les ablutions du Lévitique), conçues originellement pour les prêtres et requérant d’eux, dans l’exercice du culte, une mise à part ou une séparation (en langage rabbinique perousha) qui correspond aux notions bibliques de pureté* et de sainteté*.

 

Dans la logique pharisienne la loi orale est conçue, selon la formule attribuée à Rabbi Aqiba, comme une « haie » ou une « barrière autour de la loi (écrite) »: si on s’efforce de respecter la loi orale, on ne courra jamais le risque de violer la loi écrite (illustration célèbre: la règle pharisienne des trente-neuf coups qui évite de dépasser par erreur la norme écrite des quarante: comparer Dt 25.3n et 2Co 11.24). On en vient ainsi à dégager de la Torah un système de commandements entourés par des règles précises, concrètes, cohérentes et donc applicables par tous les fidèles. Cette logique prête le flanc à une critique que l’on retrouve aussi bien à Qumrân* (Ecrit de Damas) que dans les évangiles (Mt 15//): selon leurs détracteurs, en voulant protéger la loi écrite de toute transgression au moyen de règles étrangères à cette loi, les pharisiens finissent par lui ôter toute autorité propre et par transiger sur ce qu’elle dit vraiment.

 

Par l’orientation même de leur interprétation, les pharisiens sont proches des préoccupations quotidiennes du peuple; dès lors ils deviennent vite les modèles de la religion populaire. De ce fait ils contribuent dans une large mesure à forger les conceptions religieusesdu peuple, tout en subissant eux-mêmes, en leur qualité de « sages », l’influence de la culture hellénistique et d’autres courants du judaïsme. Ils acceptent les Prophètes et les Ecrits (voir l’introduction à l’Ancien Testament), et souscrivent à certaines croyances liées à la littérature apocalyptique (voir l’introduction à Daniel). Ainsi ils sont connus du Nouveau Testament pour croire aux anges* et aux esprits* (Ac 23.6ss), et surtout à la résurrection— quoique la description que Flavius Josèphe donne de la résurrection selon les pharisiens tende à combiner cette doctrine avec une conception plutôt hellénistique de l’immortalité de l’âme. Plus généralement, les pharisiens souscrivent au principe d’un « monde à venir » (cf. Mt 12.32n), lieu (ou temps) des récompenses et des châtiments (voir l’encadré p. 1280).

 

Il existe sans aucun doute, à l’origine, bien des points de contact entre Jésuset les pharisiens. Ils se fréquentent (Lc 7.36; 11.37; 13.31ss; 14.1) et sont parfois d’accord (cf. Mc 12.34). On ne peut manquer de remarquer l’absence des pharisiens dans le récit de la Passion (sauf en Mt 27.62-66) où les grands prêtres(cf. sadducéens*), qui jusqu’en 70 avaient la haute main sur le sanhédrin (cf. Mc 8.31n), portent presque toute la responsabilité de la condamnation de Jésus. Quant à Paul, il est notoire qu’il est d’abord un pharisien, et il n’en a pas honte (Ph 3.5ss; cf. Ac 23.6ss; 26.4s; voir aussi Ga 1.13s). Du reste, en dehors même de son cas, il est à noter que les Actesprésentent souvent les pharisiens sous un jour plutôt favorable (Ac 5.34ss; 15.5; cf. 21.20s).

 

Cependant les pharisiens sont généralement présentés de façon très négative dans les évangiles. A côté des accusations marginales de cupidité ou d’orgueil (Lc 16.14; 18.10s), les textes leur reprochent surtout leur hypocrisie (Mt 6.1ss; 23; Lc 12.1). Cela peut suggérer qu’ils n’appliquent pas eux-mêmes ce qu’ils prescrivent au peuple (cf. Mt 12.1s,11; 23.2s,23,27s; Lc 11.39ss; 13.15; Jn 7.22); on peut aussi le comprendre de façon plus radicale, auquel cas l’ensemble de la religiosité pharisienne serait dénoncée comme une « comédie » ou une « tartuferie » (dans ce cas probablement plus ou moins inconsciente, cf. la bonne conscience du pharisien caricaturée — mais du même coup reconnue — en Lc 18.9ss); d’autres au contraire comprennent le terme « hypocrite » dans un sens plus restreint, qui viserait particulièrement leur goût de la rhétorique. Quoi qu’il en soit, la rédaction évangélique estime que par l’importance qu’ils accordent à leur tradition casuistique et à cause de la multiplication des commandements qui en résulte, les pharisiens passent à côté de l’essentiel (Mt 16.6ss; Mc 7.1ss//; 12.28ss//).

 

Toutefois, dans la polémique antipharisienne des évangiles, on peut aussi percevoir l’écho des conflits propres autemps de leur rédaction, où les pharisiens sont en situation de monopole et où les Juifs chrétiens (p. ex. les nazoréens, cf. Mt 2.23n; Ac 24.5), parmi d’autres mouvements « hérétiques », ont été déclarés hors-judaïsme (cf. Jn 9.22; 12.42; 16.2; voir les introductions à l’Evangile selon Matthieu et à l’Evangile selon Jean). D'où l'apparence stéréotypée de nombreuses références aux pharisiens, qui sont parfois étonnamment associés à leurs adversaires sadducéens(Mt 3.7; 16.1,11s). Dans de nombreux cas, il ressort que les pharisiensde Matthieu, comme les Juifsde Jean (1.19netc.), désignent d’une façon très générale les adversaires de Jésus et de la première communauté chrétienne, tels que les chrétiens pouvaient se les représenter dans la dernière partie du Iersiècle.

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